Développer la Force : le point de vue d’un grand entraîneur – Partie 1
Extraits d’une
interview de Maurice Houvion – Revue EPS « Pour l’action »- 2003.
Maurice Houvion a été plusieurs fois recordman et champion de France de saut à
la perche, puis ensuite entraîneur de Jean Galfione, champion Olympique à
Atlanta en 1996.
Quelle place à accorder au développement de la force dans l’entraînement
sportif ?
Lorsqu’on se sert du
développement de la force pour améliorer, pour perfectionner l’efficacité d’un
geste dans une discipline sportive, la place accordée à ce développement est
fonction de la force utile. Obtenir des gains de force maximale très conséquent
qui ne pourraient être utilisés dans le cadre spécifique de la spécialité est
au mieux une perte de temps et d’énergie, au pire une démarche susceptible de
dégrader le niveau de performance de l’athlète. Lorsqu’on a atteint cette force
utile, il faut l’entretenir et non plus la développer, et se consacrer à
d’autres paramètres de la performance.
Prenons l’exemple de
l’arraché, qui est l’un des exercices privilégiés du développement de la force
en saut à la perche. C’est un exercice dynamique, mais c’est aussi un test en
soi, révélateur de la force générale du perchiste. L’athlète qui parvient à
arracher une charge correspondant au poids de son corps (ou légèrement
supérieure) a atteint un niveau de force utile qui est inutile de chercher à
dépasser.
Le développement de la
force utile en athlétisme passe par des efforts très dynamiques faisant
intervenir le chronomètre, avec des charges non maximales et des répétitions
peu nombreuses (5 ou 6), en associant travail statique et travail dynamique. Il
faut savoir que nerveusement, c’est épuisant. Il s’agit d’être prudent et
attentif aux réactions des athlètes que l’on entraîne.
Comment évaluer cette force ?
Une batterie de tests me
permet d’évaluer tous les paramètres intervenant dans la performance. Cette
batterie de tests détermine une courbe à partir de laquelle j’identifie les
grandes qualités du sauteur : sa vitesse et sa puissance en particulier. C’est
à partir de cette courbe que j’oriente l’entraînement. Une échelle de valeurs,
construite à partir de travaux de recherche et de mon expérience personnelle,
me permet d’évaluer les performances.
Dans certains
exercices, la performance n’a évidemment de sens que par rapport au poids de
l’athlète. En développé couché, par exemple, les bons perchistes soulèvent une
charge représentant 150% de leur poids. Jean Galfione, qui pèse 82 kg,
développe 130 kg. Il est inutile d’aller au-delà de ce pourcentage.
Quels sont les exercices de base ?
En ce qui concerne la
perche, je privilégie pour les exercices de musculation davantage le haut du
corps que le bas. Non pas que la force des membres inférieurs me paraisse
secondaire, mais je préfère pour ma discipline la travailler de façon plus naturelle,
en utilisant le plus souvent possible la course ou les bondissements, avec des
gilets lestés et des charges relativement légères. Je fais assez peu de travail
de squat, réservant le travail avec charges pour les groupes musculaires qui
interviennent le plus dans les phases aériennes du saut.
Concernant les
exercices du haut du corps, je considère trois grandes directions de
développement de la force : la flexion des bras, l’extension des bras et
l’action de fermeture des bras sur le tronc. Pour la flexion des bras,
l’exercice type est le grimpé de corde qui, en plus, fait appel à d’autres
groupes musculaires que ceux de la ceinture scapulaire. le développé couché
permet de travailler l’extension des bras, au même titre que les pompes pour un
jeune, ou même les exercices de développé sur les barres parallèles. On
retrouve la fermeture de l’angle bras/tronc dans un exercice dit de pull-over
ou dans un renversé à la barre fixe. Cette qualité de fermeture, essentielle
pour le saut à la perche, je crois qu’il faut continuer à la développer jusqu’à
la force maximale, d’autant qu’on n’a pas tellement de crut§des d’évaluation en
termes de charges mobilisées.
Est-ce que la force est une qualité physique transférable ?
Un transfert s’opère,
c’est certain, mais dans un pourcentage plus ou moins limité. La qualité qui se
transfère le plus facilement est la force maximale, qui vaut pour un grand
nombre d’activités. Par contre, lorsque la force est développée dans un
objectif bien précis, il n’y a plus guère de transfert. La force du perchiste
n’est pas transférable (ou dans une faible proportion) à celle du lanceur. Elle
peut même être un handicap : si l’on développe des groupes musculaires de façon
excessivement importante, cela peut créer un déséquilibre néfaste dans une
autre spécialité. Et puis la force développé devient elle-même de plus en plus
spécialisée puisque, de la même manière qu’un entraînement procède de la
quantité vers la qualité, il va du général au spécifique. Or, c’est cette force
spécifique qui permet d’améliorer ses performances dans une discipline sportive
donnée.
Comment passer justement du développement de la force générale à un
renforcement spécifique ?
Au niveau du quotidien
des séances, j’en reviens toujours au principe selon lequel toute amélioration
sur le plan physique doit être accompagnée d’une utilisation sur le plan
technique. Dans la mesure du possible, il faut maintenir un équilibre entre les
deux.
Lors du renforcement
musculaire des jambes en vue d’une course plus équilibrée et dynamique en saut
à la perche, on peut utiliser des exercices généraux (sollicitant plus de deux
tiers de la masse musculaire) tels que les squats, ou encore des exercices
d’isométrie sous la barre. Je pense cependant qu’au cours de la séance (ou de
la journée), il faut aller de ce développement général de la force vers une
forme plus spécifique telle que la course sur les petites haies avec un gilet
lesté, par exemple, ou la course avec une perche lestée, ou bien encore la
course en tirant une charge. Même dans une période de développement global, il
faut procéder du général au spécifique.
Faut-il conserver les mêmes méthodes ou exercices, ou bien en changer
souvent ?
Pour moi, le
changement est indispensable. L’habitude a ceci de terrible qu’on ne se
sollicite plus. En sport, on a constaté que toute nouvelle méthode stresse
l’organisme dans un premier temps en l’obligeant à réagir, à s’adapter. Et
l’organisme finit par s’adapter si bien qu’il réduit au maximum ses efforts et
que la progression s’arrête. Toute méthode a donc sa limite et doit être
modifiée pour que la progression reprenne. Ca ne veut pas dire qu’on a épuisé
la méthode en question, mais qu’il faut varier les sollicitations auxquelles on
soumet l’organisme, quitte à y revenir ensuite.
Est-ce valable dans tous les domaines ?
Oui. Prenons l’exemple
du développement de la vitesse, qui est en relation directe avec la force. Si,
pour développer sa vitesse, on ne fait que des 30m, 40m ou 50m, on atteint une
vitesse donnée qui ne peut plus évoluer. Pour rompre cette « barrière de
vitesse », je préconise une grande polyvalence en début de carrière et une
variété dans les exercices et les méthodes proposés. On pourrait évoquer de la
même façon la « barrière de force » : à un moment donné, toute
méthode atteint sa limite
Tags:
مقالات رياضية